Faut-il réinventer les échecs ?

Quelle vaste question ! D'ailleurs, petite question pour vous : qu'avez-vous envie spontanément de répondre ? A tire purement personnel, j'ai toujours pensé qu'il s'agissait d'un jeu à la richesse de stratégies absolument incroyable ! Mais force est de constater qu'il n'a plus la même renommée qu'il y a 30 ou 40 ans.

Avant de démarrer et de rentrer dans le vif du sujet, je vous propose de voir ensemble combien de personnes s'y adonnent encore activement dans le monde, que cela soit dans des tournois officiels, sur chess.com ou d'autres plateformes.

La très sérieuse FIDE (Fédération Internationale Des Echecs) se prête à ce jeu des estimations et précise qu'il y aurait 600.000 joueurs actifs au niveau mondial, selon un article paru juste avant la pandémie et juste avant la sortie internationale de la célèbre série Netflix "The Queen's Gambit", qui a indéniablement boosté les ventes de jeux d'échecs et redorer le blason de ce jeu, un peu tombé en désuétude du fait de la suprématie des IA (intelligences artificielles) sur ce jeu désormais considéré comme résolu et fermé.

Un jeu résolu est-il bon à mettre à la poubelle ?

La question est là encore très sérieuse et on peut prendre l'excellent exemple du Rubik's Cube. Avec un simple algorithme répétitif, absolument n'importe qui peut suivre une méthode diffusée en quelques minutes sur Youtube et réussir à résoudre ce casse-tête très célèbre en seulement 3 ou 4 minutes. Oui, vous avez bien lu ! Cela vous paraît totalement impossible et pourtant cela est tout à fait vrai ! Je ne le croyais pas non plus et puis j'ai suivi une vidéo, je m'y suis mis et 8 minutes plus tard j'avais résolu la chose. En retestant et en achetant un rubik's cube de compétition qui tourne de manière plus fluide, j'ai abaissé mon record à 2min54s, le tout en moins de 10 jours d'entraînement. Ce qui était préconisé sur Youtube était donc parfaitement vrai ! Alors, est-ce intéressant de jouer à un jeu totalement résolu ? Et bien à vrai dire....oui ! Il y a de nombreuses compétitions de vitesse et les meilleurs mondiaux y arrivent en moins de quelques secondes. Ils passent même ensuite à des formats bien plus complexes de 6x6x6 ou encore plus grands. C'est assez dingue ce qu'ils sont capables de faire et de mémoriser pour battre leurs records ! Un jeu résolu peut donc devenir l'outil absolument parfait pour organiser des compétitions où tout le monde est finalement sur le même pied d'égalité ! Tant qu'un jeu n'est pas résolu, finalement c'est le joueur qui a la plus forte puissance de calcul qui l'emporte ! Cela crée forcément des déséquilibres et on s'aperçoit que c'est tout le temps le même panel de personnes qui remportent les parties et les tournois. C'est très clairement ce qui est arrivé aux échecs après l'apogée des années 1980. Tout le monde connaissait les grands champions, russes notamment, et tout le monde suivait les grandes parties. Les mêmes dominaient cette Terre carrée au damier célèbre et personne ne s'en étonnait. Les meilleurs matheux emportaient le morceau. Avec l'arrivée des ordinateurs, tout a été bouleversé. Déjà, la courbe d'apprentissage pour les novices était bien plus aisée. On pouvait affronter des algorithmes formateurs bien plus puissants qu'un joueur du dimanche que l'on bat facilement. Forcément on progresse plus vite ! Dans le sport, tout est une question de "sparing partner". C'est ainsi ! Mais alors, pourquoi les échecs ont perdu de leur sex appeal ? Si tout le monde monte en compétence et que les compétitions en ligne sont bien plus aisées, il y a un paradoxe quelque part ! Tout simplement parce que le format de jeu des échecs est beaucoup trop long ! Le public s'est tourné vers des jeux plus instantanés, à la recherche d'adrénaline, et surtout beaucoup plus massivement multijoueurs ! L'émergence des consoles et l'arrivée des jeux en streaming a définitivement sonné le glas des échecs, qui ne se jouent qu'à deux. C'est triste mais c'est ainsi. Pourtant c'est un excellent jeu : il y a des retournements de situation possibles, il faut savoir se projeter si possible à plusieurs coup en avance...Il y a plein de vertu positive à jouer aux échecs ! Allons plus loin dans le raisonnement et comprenons bien pourquoi il y a quand même un problème quelque part !

Les échecs sont un jeu asymétrique !

Il y a un énorme problème de Game Design dans ce jeu ! Le joueur qui a le "trait" et qui joue les pièces blanches a un avantage absolument impossible à remonter par l'autre joueur ! Au mieux les grands champions réussissent à sortir un nul face à un grand maître qui démarre la partie. Mais les noirs n'ont strictement aucune chance face aux blancs ! A partir du moment où vous le savez et où les chiffres prouvent noir sur blanc, sans mauvais jeu de mots avec la couleur des pièces, alors vous n'avez plus envie de jouer ! Quel est l'intérêt de lancer une partie où vous savez que vous allez perdre ? Et il n'y a absolument aucun plaisir à se limiter à devoir aller chercher un nul. Un jeu n'est intéressant que si on peut le gagner. C'est ainsi et on ne changera pas le monde de la gamification. C'est un pilier absolument essentiel pour que le cerveau humain y trouve son compte ! A l'inverse des jeux qui se jouent en simultané (et il y en a plein dans l'univers des jeux de société), les jeux qui se jouent au tour par tour ont très souvent ce problème du "premier joueur". Avec beaucoup d'expérience, un bon game designer sait lisser ce problème et donner des pouvoirs spéciaux aux autres joueurs pour éviter cet effet de boule de neige qui propulse le premier joueur en première position simultanément. Les échecs sont vraiment l'exemple type du jeu qui rencontre ce problème de manière si frontale ! Mais on peut prendre également des jeux comme le Monopoly où le premier joueur peut réussir à acheter un terrain en premier et réussir à toucher un premier loyer dès les premiers coups de dés de ses poursuivants qui ont de grandes chances de tomber sur la même case que lui !

Sans rentrer dans de grands débats philosophiques...

On peut constater qu'un jeu a besoin d'une conception finement réfléchie afin de pouvoir plaire aux joueurs. Et les anciens jeux ne sont pas forcément les meilleurs exemples en termes de gamification. Ce n'est pas parce que la bataille est un jeu qui perdure dans le temps que c'est un bon jeu ! Il est parfaitement fade et aléatoire. Idem pour nombre de bestsellers qui continuent d'être vendus par wagons entiers et qui pullulent sur les étals. L'immense majorité d'entre eux sont très faibles d'un point de vue purement gamification. On lance des dés, on attend de savoir à quelle sauve on est mangé par le plateau sans avoir son mot à dire. C'est vraiment ennuyant ! Fort heureusement il y a toute une famille de nouveaux jeux modernes qui a émergé ces vingt dernières années. Et plus le temps passe, plus ces nouvelles sorties montent en niveau et s'améliorent. Il y a toute une nouvelle génération de créateurs âgés de 25 à 45ans qui pondent désormais des pépites ludiques absolument remarquables et où ils tiennent parfaitement compte de tous les biais possibles liés à des choix de Game Design. La théorie a énormément progressé ces dernières années ! Les gens lisent des livres sur la gamification, partagent leurs connaissances. C'est très enrichissant et instructif ! D'où le niveau général qui progresse de manière fulgurante.

En résumé...les échecs sont un jeu sympa, encore bel et bien en vie, mais parfaitement dépassé d'un point de vue gamification. Cela n'enlève pas à ce ce jeu son intérêt purement mathématique et stratégique, mais pris sous un angle d'analyse uniquement Game Design, c'est un jeu désormais dépassé par plein d'autres jeux aujourd'hui. Il est par conséquent assez normal qu'il ne soit plus en tête des ventes et des usages. Merci pour votre lecture !

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