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Il y a 2 mois, je vous écrivais un article de fond abordant la multiplication des sorties de jeux de société dans le commerce. Je vous remets le lien pour rappel, car l'article d'aujourd'hui est le prolongement de celui-ci : cliquez ici pour accéder à l'article !
Aujourd'hui, j'aborde avec vous une situation de terrain qui émerge de plus en plus dans l'univers des jeux de société : la perte de références sûres et le manque de visibilité sur la solidité et l'originalité des mécaniques de jeu des nouvelles sorties.
Clairement, la situation devient problématique pour un nombre grandissant de gérants de boutiques spécialisées (avec lesquels j'ai l'occasion de discuter régulièrement). La multiplication des sorties de jeux n'y est clairement pas étrangère et c'est la raison pour laquelle je vous ai glissé le lien vers mon précédent article.
Pour bien comprendre mes propos, essayons tout d'abord de comprendre ensemble quelle est la réalité du terrain dans l'univers des boutiques spécialisées.
Premièrement, étant spécialisées dans des produits généralement non distribués en grandes surfaces, elles sont à la recherche de nouveautés et de jeux originaux qu'elles pourront offrir à leur communauté de joueurs assidus.
Deuxièment, elles doivent faire face à un nombre restreint de distributeurs spécialisés ou travailler en direct avec les éditeurs qui éditent leurs jeux à compte d'auteur (micro-édition).
Troisièmement, elles doivent faire leur sélection en s'appuyant sur un ensemble d'éléments eux aussi restreints : un catalogue fournissant généralement des centaines de références et des sites spécialisés qui n'arrivent pas forcément à couvrir l'intégralité des nouveautés, malgré les nombreux efforts.
L'une des premières consquences c'est que les boutiques spécialisées s'attendent désormais à un travail de sélection plus fin de la part des distributeurs. L'ère du dépôt-vente de jeux tire clairement à sa fin. Les gérants de boutiques ne veulent plus acheter les yeux fermés et préfèrent désormais patienter un peu avant de se positionner sur le référencement d'un nouveau jeu. En effet, l'univers des jeux de société dits "modernes" commence à être victime de son succès de par l'apparition de jeux toujours plus nombreux et toujours plus originaux. La créativité des auteurs a trouvé dans ce secteur éditorial un tremplin de développement idéal. Et du côté des boutiques spécialisées c'est le début de l'embouteillage. Comment réussir à couvrir les quelques 500 nouveautés annuelles ? Il devient bien difficile de connaître les règles du jeu de chacune des nouveautés ludiques ! Et les gérants de boutiques spécialisées attendent donc désormais des indices plus tangibles de la demande des joueurs pour un nouveau produit. Les commandes à l'aveugle pour compléter un bon et bénéficier d'un franco de port, c'est une période désormais révolue. Il y a clairement une demande pour des produits validés par des prescripteurs et le bouche à oreille. La remontée d'expérience autour des nouveautés ludiques est donc cruciale dans les premières semaines d'exploitation commerciale d'un jeu. Et lorsque le succès est là, c'est la voie royale pour le promouvoir auprès d'un public aussi large que possible et se focaliser dessus.
L'autre conséquence, c'est qu'il devient désormais de plus en plus visible que l'univers du Ludique manque d'une référence indépendante pour apprécier de la qualité ludique des nouveautés. Les blogs et sites spécialisés se sont multipliés ces dernières années, mais le temps des gérants étant compté, la réalité du terrain est qu'il devient de plus en plus difficile de bien s'informer sur tous les jeux. Et l'envie de signer à l'aveugle une commande n'est visiblement plus là. De mauvaises expériences ayant parfois refroidi les ardeurs des acteurs du secteur, même les plus dynamiques.
Il y a donc un vrai besoin sur le terrain pour un média d'information plus adapté aux besoins des gérants. L'arrivée des techniques vidéos a apporté sa pierre à l'édifice ces dernières années, mais cela ne répond pas à la question clé des gérants : est-ce que ce jeu est bon ?
Car l'avis d'un expert, quel que soit le secteur, est irremplaçable. On le voit dans le vin, on le voit dans la restauration gastronomique...Il y a un besoin naturel de prescripteurs fiables et indépendants.
Il est apparu ces dernières années un certain nombre de fonctionnalités de notation permettant aux joueurs de donner directement leurs avis sur les jeux qu'ils achètent. Ce fut une avancée certaine, mais à ce jour aucun type de notation ne s'est véritablement imposé. Principalement parce que la grille de notation n'est pas forcément adaptée ou utilisée correctement et systématiquement. Le besoin n'est donc pas comblé via ce type de solution.
L'avis d'un prescripteur, c'est avant tout de pouvoir avoir sous le coude une échelle de valeurs comparables. C'est ce qui manque, à mon sens et visiblement aussi au sens des gérants de boutiques que j'ai eu l'occasion de cotoyer en nombre ces derniers temps, actuellement à l'univers du Ludique.
La réalité du terrain pour les gérants de boutiques spécialisées c'est également d'être pris dans un cycle infernal de renouvellement de catalogues de la part des distributeurs spécialisés. Tel mois ce sont ces X jeux qui doivent absolument être mis en avant. Tel autre mois ce sont Y autres références qui déboulent sans prévenir et qu'il faut soudainement soupeser sans en connaître forcément tous les rouages. Bien difficile de s'y retrouver semble-t-il...
Alors la réaction ne se fait pas attendre : les gérants optent pour la sécutiré et les valeurs refuges. Ou alors il faut une bonne démonstration solide du produit, sur place, pour pouvoir se faire une idée concrète du jeu et de son potentiel.
L'ère du renouvellement rapide des catalogues des distributeurs touche donc certainement à sa fin. C'est l'un des constats que je peux affirmer au travers de mon analyse. Ce qui aura forcément au final des conséquences sur certains éditeurs, pris eux aussi dans la spirale de la multiplication grandissante de nouveautés pour pouvoir rester un maximum en tête de catalogue. Le retour des grosses boîtes va clairement aussi être la nouvelle tendance du secteur, ce qui du coup offrira la possibilité de proposer de nouveaux standards grand public à la grande distribution qui, jusqu'à présent, n'a pas forcément mis en avant les gammes des petits jeux d'ambiance, préférant les grands classiques comme le Trivial Pursuit, le Monopoly ou le Cluedo. Et par grosse boîte, je n'entends absolument pas des jeux core-gamers. J'entends bel et bien des jeux grand public avec des mécaniques ouvertes, facilement compréhensibles, mais avec un matériel plus étoffé que quelques dizaines de cartes et des jetons.
Il ne serait pas étonnant que les volumes de ventes dans l'industrie du Ludique dit "Moderne" se concentrent autour d'un nombre de références plus restreintes, permettant ainsi un étoffement du nombre moyen de boîtes vendues par jeu. Ces dernières années avaient vu une multiplication des sorties et une diminution du volume moyen par jeu. Mais la concentration sur des jeux avec un matériel plus important va imposer des tirages plus importants. Il sera bien plus difficile de faire des tirages d'essai pour tester l'eventuel potentiel commercial d'un jeu. D'où le retour à un schéma plus traditionnel avec une sélection plus drastique des distributeurs des jeux qui apparaîtront dans leurs catalogues. C'est donc ici le second constat que je peux aussi affirmer au travers de cet article.
Il n'en reste pas moins qu'avec des jeux plus complexes, l'avis d'un prescripteur indépendant va se faire de plus en plus sentir et l'importance des tests-terrain des jeux de la part des gérants de boutique va être le point crucial pour garder une longueur d'avance sur la concurrence. L'allongement du cycle de lancement d'un jeu sera donc certainement l'une des conséquences possibles, de telle manière à intégrer le temps de présentation du jeu à un public élargi de gérants de boutiques des nouveautés ludiques lors de salon. C'est un retour en arrière par rapport à des pratiques plus anciennes, mais c'est une réalité et une demande de plus en plus forte de la part des professionnels.
On en arrive donc à la conclusion de mon article qui met en évidence une chose toute simple : il y a actuellement une désorganisation visible des éditeurs/distributeurs en place autour de la mise en place d'un salon d'importance sur Paris. Or, c'est sur ce type de manifestation que les gérants de boutiques ont besoin de venir tester les jeux. Combien de fois ce besoin a-t-il été souligné de la part de nombreux professionnels, notamment parce que les manifestations encore en vie ne répondaient pas à leurs attentes...Il y a une nostalgie compréhensible de la part d'un nombre grandissant d'acteurs pour un retour à des salons où les professionnels peuvent vraiment apprécier la qualité ludique des nouvelles parutions et où l'ensemble des acteurs sont représentés.
La réalité du terrain, c'est donc qu'actuellement il y a une multiplication impressionnante de bons jeux (bon, de mauvais aussi parfois...d'où l'importance de l'apparition d'une nouvelle référence indépendante, comme par exemple un guide), mais qui n'arrivent pas forcément à trouver échos sur le terrain, faute d'une organisation qui leur permettent de s'implanter sereinement.
Voici un aperçu, plutôt détaillé, de ma vision actuelle du terrain Ludique. Vous êtes invités à saisir votre plume électronique pour me répondre via le module de commentaires si cet article vous interpelle sur un point ou sur un autre. Je suis très disposé à en parler ouvertement. Ce blog est fait pour vous, et éventuellement pour ce type de discussion !