Découvrez tous les secrets de l'industrie des jeux de société en lisant ce livre !
Il est une chose qui m'a toujours marqué dans l'univers des jeux de société : ils ne sont pas chers !
Ajouté à cela une incohérence totale entre les prix pratiqués en gande distibution (très souvent au dessus de 35 euros pour des jeux vus et revus et fabriqués par dizaines de milliers, voire centaines de milliers d'unités), et les prix pratiqués en boutiques spécialisées pour les jeux dits "modernes" (en moyenne 20 euros pour des jeux aux mécaniques bien plus novatrices), et nous sommes face à un marché qui intrigue !
La chaîne de valeur dans l'industrie des jeux de société est grosso modo la suivante, en partant sur la base d'un jeu dit "moderne" vendu aux alentours de 20 euros TTC (pour un tirage à 5000 unités) :
-TVA : 4 euros
-Marge Boutique Spécialisée : 6 euros
-Marge Distributeur : 3 euros
-Droits d'Auteurs : 0,70 euros
-Illustrations : 0,50 euros
-Coûts de Fabrication : 3,50 euros
-Marge Editeur : 2,30 euros
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= 20 euros TTC
Pour les jeux de société vendus en grande distribution, cette chaîne de valeur reste quasiment la même à la différence que la marge du revendeur passe de 6 euros à 11 euros et que le jeu sera vendu à 25 euros, sur la base d'un coefficient de x2,5, là où les boutiques spécialisées pratiquent généralement un coefficient de x2.
Mais peu de jeux dits "modernes" sont retenus par la grande distribution. En effet, les acheteurs des centrales se concentrent sur les jeux possédant des licences connues des enfants. Un tel jeu ne sera alors pas vendu à 25 euros, mais plutôt aux alentours de 35 euros. Les royalties doivent bien se payer à un moment ou à un autre, et puis surtout la grande distribution prend des marges bien plus importantes pour pouvoir surmonter certains "fours commerciaux".
Le prix des jeux de société est-il efficient ?
Selon Wikipedia :
L'efficience est la qualité d'un rendement permettant de réaliser un objectif avec l'optimisation des moyens engagés.
Il ne doit pas se confondre avec l'efficacité, qui ne mesure que l'atteinte d’un objectif sans précision des moyens utilisés.
Le prix des jeux de société vendus en grande distribution sont selon cette définition efficients. Ils visent à un maximum de ventes possibles tout en minimisant les différents coûts intermédiaires. La qualité du rendement est donc optimale.
Le prix des jeux de société dits "modernes" vendus en boutiques spécialisées est-il quant à lui efficient ?
C'est là l'enjeu de mon article du jour car de mon point de vue, ils ne le sont pas. Tout d'abord, du point de vue des tirages qui, avec une moyenne de 3000 unités, n'offrent pas l'opportunité de rentabiliser les frais fixes générés par les lancements en production d'un jeu. Le même jeu produit à 3000 unités revient à plus de 4,5 euros, là où un tirage à 5000 unités lui permet de descendre à 3,5 euros. Au vu de la marge Editeur présentée plus haut et qui ressort à 2,30 euros en moyenne, cette hausse de 1 euros vient largement empiétrer sur les marges nécessaires à un éditeur pour pouvoir assurer le développement d'autres jeux en parallèle.
Mais surtout, à mon sens, je pense que les jeux de société ne sont pas vendus assez chers en boutique. Cela étonnera clairement plus d'un connaisseur du milieu, mais comme tout secteur de niche le rapport Risque Editorial / Marge Editeur ne permet généralement pas de survivre à plus de 2 sorties dont les ventes s'avèrent moyennes, voire décevantes. En comparaison avec d'autres industries, il est totalement incohérent de voir un jeu vidéo vendu sur un simple support plastique à quelques centimes d'euros et une boite elle aussi en plastique et affichant un prix de plus de 60 euros. Et en parallèle, un jeu de société avec un ensemble d'éléments de matériel bien plus important se vend lui à 20 euros, là il pourrait très bien se vendre sans problème à 35 euros, sans que cela impacte forcément la demande.
La notion d'élasticité de la demande au prix dans un secteur de niche est en effet à relativiser fortement.
A bien analyser de plus près, les passionnés préfèreront voir les éditeurs dont ils aiment la gamme avec des chances plus importantes de poursuivre le développement de leurs jeux, plutôt que de voir une multiplication de petites structures non-viables et qui ne surgissent dans le paysage ludique que pour une seule sortie. Lorsqu'un jeu est bon, la demande est là et le prix importe finalement très peu sur son parcours. A titre personnel, j'achète avant tout en fonction de l'originalité de la mécanique d'un jeu que par rapport à son prix. J'avoue même que je regarde très peu les prix lorsque je rentre dans une boutique spécialisée. Je sais de toute façon que ce sera très généralement en dessous de 30 euros et même dans une grande majorité des cas en dessous de 20 euros. Un jeu unique et marrant n'aura d'ailleurs pour moi aucun prix. Je pense même, pour être honnête, que bien souvent les jeux sont sous-pricés.
Vers un rééquilibrage des prix ?
L'exemple du marché Allemand est frappant : à vouloir jouer la course à la baisse des prix, le marché s'est de lui-même tiré une balle dans le pied. Du côté marché français, le phénomène n'est pas le même pour le moment, mais on ressent différentes gammes : les jeux entre 10 et 15 euros. Les jeux entre 15 et 25 euros. Et les gros jeux, généralement proches de 35 euros. Or, il existe quand même des incohérences au regard d'autres produits culturels de niche comme la Bande-Dessinée : il est en effet incohérent de voir une Bande-Dessinée à 14 euros, là où une boîte de jeu de société s'affiche de plus en plus à 15 euros. La quantité de matériel éditorial n'est pas du tout le même, d'autant que la Bande-Dessinée est un produit bien plus standardisé et bénéficiant désormais de techniques d'impression numériques optimisées permettant même des tirages désormais à l'unité. Un jeu de société, lui, passe encore par plusieurs prestataires pour le livret de règles, la boîte en carton, les jetons, les cartes. Bref, il y a une incohérence criante.
Le prix des jeux de société dits "modernes" est-il trop faible ?
C'est une vraie question qui mérite débat, et bien entendu c'est une question surprenante notamment parce que généralement on cherche plutôt à comprendre pourquoi certains produits sont vendus aussi chers (exemple de l'Iphone ou de l'Ipad) et non pourquoi ils sont vendus aussi peu chers.
Je suis moi-même un acheteur régulier de jeux de société (et de bande-dessinées d'ailleurs). J'ai un budget raisonnable, je ne me ruine pas. Une vingtaine de jeux par an désormais. Mais il est vrai que j'ai toujours été interpelé des prix des jeux, en comparaison des BD. Je joue bien plus que je ne lis d'ailleurs, mais au final j'ai dépensé bien moins en jeux de société que je n'ai dépensé en BD, alors-même que je suis un joueur passionné. C'est bien là une incohérence que je n'explique pas. Quand je vois que bien souvent certaines éditeurs hésitent à refaire un nouveau tirage de leur jeu alors même qu'il est génial, tout simplement parce que le risque financier serait trop important en cas de ventes moyennes, je me dis que ce cumul d'incohérences est finalement un frein au développement du secteur des jeux de société.
A mes yeux, la marge qui revient aux éditeurs est actuellement bien trop faible. Et c'est d'ailleurs ce qui peut expliquer que les grosses maisons d'édition de jeux de société ne sont pas nombreuses et qu'à côté de cela il y a de très nombreux micro-éditeurs.
Conclusion
Mon analyse, et ce sera la conclusion de cet article de fond, c'est que le développement créatif serein d'une maison d'édition ne peut passer que par l'assurance de pouvoir surmonter d'éventuels échecs commerciaux.
Etre face à un marché où la logique des prix pratiqués revient à diminuer, sans raison véritable, au maximum sa marge, alors même que l'élasticité de la demande au prix n'a peut-être pas été analysée de la meilleure des manières, c'est un point qui me saute aujourd'hui aux yeux.
Et ce n'est peut-être pas la meilleure chose pour se projeter sur le long-terme d'un point de vue économique.
C'est peut-être bien la raison pour laquelle la plus grande majorité des professionnels éditeurs et distributeurs confirment qu'il n'est pas possible aujourd'hui de gagner de l'argent dans le secteur des jeux de société, en dehors de blockbusters qui viennent mettre le beurre dans les épinards nécessaire pour survivre a minima.
A ce jour, éditer un jeu de société revient bien souvent à réaliser un rêve ou donner jour à une idée pour un premier tirage réduit. Rarement plus malheureusement...Et prévoir une campagne de communication digne de ce nom est donc totalement rendue impossible de par un tel système. Ce qui porte finalement préjudice au jeu lui-même, au grand regret de tous les passionnés qui bien souvent se demandent comme moi pourquoi on ne parle pas plus souvent des jeux de société dans les grands médias.
Selon moi, le prix des jeux de société dits "modernes" est donc effectivement trop faible. Les jeux vendus 15 euros devraient l'être à 20 euros. Les jeux vendus à 20 euros devraient l'être à 27 euros. Ce qui finalement fait retomber sur des prix plus proches de ceux que l'on constate dans la grande distribution.
C'est assez étrange de conclure cet article sur ce constat. J'avoue. Mais c'est une analyse que j'ai faite depuis maintenant plusieurs mois et qui m'interpelle de plus en plus, au point de ressentir le besoin d'en écrire un article de fond.
La seule conclusion très positive de tout cela c'est que le marché des jeux de société dits "modernes" est très favorable aux passionnés. Ils peuvent sans crainte multiplier leurs achats de jeux et se rassurer sur le fait qu'il ne sont pas pris pour des "vaches à lait".
En revanche, je suis plutôt sceptique sur la capacité pour les éditeurs de se développer sereinement dans de telles conditions. L'édition c'est aussi pouvoir se permettre au moins une erreur (c'est bien le minimum!) car jamais rien n'est gagné et un produit, quel qu'il soit, n'est jamais garanti de rencontrer son marché. Or, là, il semblerait que le marché des jeux de société se soit installé tout seul dans un système n'autorisant justement plus aucune marge de manoeuvre.
Je le redis et le repense : je pense que l'on devrait assister au retour de plus grosses boîtes. Le système actuel des jeux de "petites boîtes" a sans doute fait son temps de par ses marges bien trop faibles...Ou alors ils devront revoir leurs prix...