Découvrez tous les secrets de l'industrie des jeux de société en lisant ce livre !
Pépites Ludiques a le plaisir d'accueillir aujourd'hui sur ses pages un auteur qui a déjà pas mal de projets de jeux à son actif et qui a décidé de franchir le pas de la création d'entreprise en créant sa propre maison d'édition, Ilopeli. En route pour une série de questions détaillées...
1- Arnaud, tu es avant tout un passionné de jeux de société et tu as récemment franchi le pas et créé ta propre maison d'édition. Pour tous ceux qui s'intéressent à la création de ce type de structure, peux-tu nous expliquer comment tu t'y es pris et quel fut ton planning d'avancement entre l'envie et la réalisation concrète ?
Arnaud : Je suis avant tout un joueur qui, comme beaucoup, imagine de temps à autre des jeux et qui est devenu ainsi un auteur. Après avoir travaillé étroitement à l’édition des jeux dont j’étais co-auteur avec les éditeurs, tout naturellement l’idée de m’investir encore d’avantage dans ma passion a germé progressivement. Je connaissais les principaux acteurs et certains sont des amis qui ont pu me conseiller, je ne partais donc pas dans l’inconnu total. Ce projet a été maitrisé. C’est une opportunité (un licenciement économique) qui m’a poussé à franchir le pas.
Pour le planning j’ai mis environ un an avant même de déposer les statuts. Pendant cette année, j’ai cherché 2 jeux à éditer, je les ai travaillé pour leur trouver le bon thème et le bon style d’illustration, j’ai cherché un illustrateur (merci à Bony pour son professionnalisme, sa confiance et son talent), cherché un distributeur et chercher un fabricant. Evidemment il faut aussi chercher un comptable, des financements et rédiger des statuts pour cela j’ai été aidé par la maison de l’entreprise de ma région.
2- Beaucoup de jeunes auteurs réfléchissent à des auto-éditions de leurs jeux. Toi qui a une expérience des 2 côtés (auteur et maintenant éditeur), que leur conseillerais-tu ?
Arnaud : Je conseillerais avant tout de prendre un maximum de recul par rapport à leur création. Il ne s’agit pas de faire un bon jeu et de l’éditer pour qu’il se vende. Un jeu c’est plus qu’une simple mécanique et du carton. Si le jeu n’a pas un atout pour se démarquer de la production déjà en place il n’a que très peu chance de succès. Pour qu’un jeu se vende il lui faut une bonne distribution (avec une force de vente qui poussera le jeu): c’est fondamental.
3- Crois-tu aux nouveaux systèmes d'impression numérique qui permettent désormais d'éditer quelques exemplaires de son jeu pour en avoir de véritables prototypes de démonstration ?
Arnaud : Je ne connais pas ces nouveaux systèmes d’impression. Un joli prototype fait toujours bon effet mais ça ne suffit pas.
4- Ilopeli, pour ceux qui ne connaissent peut-être pas encore, c'est qui et ce sont quels projets de jeux pour le démarrage initial ?
Arnaud : Ilopeli c’est une SARL c'est-à-dire deux associés, Yves, un ami passionné et moi-même. La ligne éditoriale est de faire des jeux qui rassemblent parents et enfants autours d’une table et que chacun y trouve du plaisir ludique. Le but est que les parents n’ai pas à sous-jouer, ou jouer juste pour faire plaisir avec leur enfants, et que s’ils se mettent autour d’un jeu Ilopeli ils se rendent compte que le jeu est bien plus malin qu’ils ne le présumaient et que finalement ils deviennent tout aussi demandeur que leurs enfants de refaire une partie. Dans cette ligne Jurassik fut le premier, suivi par Sherlock et maintenant Antartik. OK Corral sort un peu cette ligne par l’âge minimum mais est tout autant fédérateur.
5- Tu es désormais éditeur et tu as fait le choix de Blackrock Editions pour la Distribution de tes jeux. Cette facette cruciale et stratégique a-t-elle été difficile à faire ? Confirmes-tu que le maillon Distribution est aujourd'hui l'un des maillons essentiels pour la réussite des ventes d'un jeu ?
Arnaud : La distribution est majeure dans la vie et le succès d’un jeu. J’ai connu Blackrock sur le salon d’Essen et j’ai tout de suite accroché au « blackrock spirit ». Comme le jeu est une histoire de passion et d’envie, comme ils sont passionnés, comme j’ai eu envie, le choix s’est imposé et n’a pas été très difficile.
6- Quelles actions concrètes encourages-tu pour de jeunes auteurs qui souhaitent se faire éditer ? Peuvent-ils par exemple te présenter des jeux actuellement ? Es-tu à la recherche de nouveaux concepts ?
Arnaud : Les conseils classiques pour se faire éditer sont de faire des règles claires, avec un thème adapté à l’éditeur qu’il souhaiterait et un matériel adapté. Je suis personnellement à la recherche de jeux pouvant entrer dans la gamme « futé » : 55 cartes, accessible à 5 ans, malin, avec un thème qui titille l’imaginaire.
7- En 2012, quelles seront les sorties chez Ilopelli ? As-tu quelques anecdotes sympas à nous faire partager sur ces futurs projets ?
Arnaud : En 2012 comme en 2011, 3 jeux sont prévus. Antartik est le premier. Skeleton Island suivra en juin. C’est un jeu formidable de Florian Fay : Une mise en place rapide et très originale, un tour de jeu très simple mais qui révèle à l’usage une subtilité d’interactivité qui ne parait pas à la simple lecture de la règle. Pour l’anecdote, lorsque Florian m’a présenté le jeu il m’a dit qu’il s’agissait d’un jeu où l’on creuse le sable pour y trouver des choses qui pourrait-être des ossements de dinosaures et qu’on pourrait l’appeler Jurassik 2. Un troisième jeu est prévu pour la fin d’année mais nous auront le temps d’en reparler d’ici là.
8- Les phases de tests de nouveaux jeux, avant leur édition, chez Ilopelli comment cela se passe-t-il concrètement ?
Arnaud : Là première étape est la lecture des règles et leur appropriation. Yves et moi nous nous en chargeons. Puis viennent les tests. On teste à deux et chacun dans notre cercle familial et d’amis, puis on élargit les tests. Je fais toujours essayer à l’équipe Blackrock aussi lorsque je suis relativement sûr de moi et enfin on prend la descision.
9- Faire connaître un jeu au grand public et aux passionnés, c'est tout l'enjeu pour une jeune maison d'édition. Comment Ilopelli va-t-elle faire connaître ses jeux ? Des soirées, des festivals ? Peux-tu nous en dire plus ?
Arnaud : Ben non, pas tellement plus. Lorsqu’on n’a pas les moyens de se payer une campagne publicitaire on donne de sa personne pour faire découvrir le jeu à un maximum de personnes afin d’initier un bouche à oreilles, d’où notre présence sur les festivals et salons. On offre des boîtes à certaines associations qui se proposent d’animer le jeu à notre place. Bref on fait jouer un maximum les jeux.
10- Il y a de plus en plus de sorties de jeux et ils sont de qualité toujours meilleures. Est-ce quelque chose qui te fait personnellement peur ou bien partages-tu l'analyse qu'il s'agit là d'un phénomène très classique d'un secteur qui n'en est qu'à ses tout débuts de développement ?
Arnaud : Je n’ai aucune raison d’en avoir peur, je m’en réjouis plutôt. Je pense que lorsqu’on sait qu’il y a 14 millions de familles avec enfants de moins de 14 ans rien qu’en France et que lorsqu’un jeu marche bien il s’en vend 5000 par la filière des boutiques spécialisées, je me dis que le marché n’est pas hyper saturé, je me dis surtout que la cible n’est pas atteinte.
11- Aujourd'hui quelques gros acteurs se partagent le marché de la Grande Distribution. Le renouvellement des catalogues de jeux dans ces très grandes enseignes est très faible. Qu'en penses-tu à titre personnel ?
Arnaud : Je pense que c’est bien dommage mais que c’est assez normal dans leur système de fonctionnement actuel. On ne peut pas mettre un acheteur potentiel de jeux devant un mur complet de jeux sans venir le conseiller. Or dans la grande distribution le seul conseil qui est fourni c’est le catalogue de noël à 10 000€ pour qu’un produit (on ne parle plus de jeu) y apparaisse. On est loin de la philosophie d’évangélisation par le jeu de qualité. Ajouté à cela que les gens détestent lire les règles et que les jeux qu’ils achètent ne sont en général pas pour eux et on comprend que la nouveauté n’est pas forcément recherché.
Je note cependant des efforts notables chez Picwick, la grande récré, la Fnac et Virgin qui cherchent à proposer d’autres choses que les grands classiques.
12- Qu'as-tu pensé à titre personnel du récent Festival International des Jeux de Cannes et notamment la remise des Prix de l'As d'Or ? Ce type de Prix doit-il évoluer vers une autre formule et une autre organisation ?
Arnaud : Selon moi le FIJ, est LA manifestation ludique française. Tous les éditeurs sont présents, le lieu est idéal et de prestige, le public est familial et nombreux. Je ne suis pas qualifié pour pouvoir juger de la remise des prix en elle-même, j’ai juste un ressenti qui m’est tout personnel. Pour le prix lui-même et sa sélection c’est autre chose. Je suis régulièrement choqué par certaines aberrations. Ce prix ne brille pas et il ne brillera pas tant qu’il sera entaché par le sentiment de magouille qui en ressort. Pour éviter cela je pense qu’il faut un renouvellement régulier du jury afin d’avoir toujours un souffle frais, un œil nouveaux et actualisé et peut être une médiatisation plus forte.
13- On apprenait récemment l'arrêt de la distribution papier de JSP Mag. Quelle est ton analyse personnelle ? Que penses-tu de ton côté de la couverture médiatique actuelle du secteur des jeux de société ?
Arnaud : Je suis très attristé par l’arrêt de la parution de JsP. C’est une couverture médiatique de moins pour notre passion qui souffre d’en avoir que trop peu. Je n’ai pas d’analyse personnelle sauf qu’il est toujours mieux d’avoir de la diversité, en source de communication et d’informations également. JsP, le site et le mag avait une image « pro » qui me plaisait bien.
14- Yanhdrev souhaite développer un système de QRCode à coller sur les boîtes pour faire un lien entre le produit physique et les vidéos de présentation des règles du jeu mises en ligne. Qu'en penses-tu à titre personnel ? Serais-tu prêt à soutenir ce type d'initiative ?
Arnaud : Je trouve les présentations des règles en vidéo super, je soutiens donc bien qu’il va manquer de place sur mes petites boîtes.
15- Enfin, et merci pour toutes tes réponses détaillées et riches, que penses-tu de l'esprit Entrepreneurial qui agite l'univers ludique ? Beaucoup de personnes portent des projets, créent des structures (associatives ou professionnelles). Tu en es d'ailleurs un très bel exemple de détermination. Pourquoi l'univers des jeux de société attirent-ils autant de créateurs et aussi peu de médias ?
Arnaud : Parce que c’est une question de passion pour les uns et de public de masse pour les autres. Lorsqu’on fait un jeu sur un thème d’actualité comme la crise (plan social) ou les élections les médias s’y intéressent.
Merci pour cet interview sympathique !